Notre Montplaisant à Philippeville
par Marie Jeanne Galéa-Groud. *


NOS RUES    CHEZ NOUS     PLAN     LES HABITANTS


Comme nombre de nos quartiers, il s'accrochait à la pente.

    Construit à l'extrémité sud-ouest, au-delà de la mosquée et des remparts, première enceinte fortifiée de la ville, il était, à ses débuts, composé de quelques petites fermes exploitant des arpents de vigne et de maigres cultures maraîchères.
Cette plaque de marbre retrouvée en 1986, que j'ai toujours connue, scellée dans le mur d'une de dernières maisons en limite d'un vallon glissant vers l'église de Ste Thérèse, atteste qu'il fut baptisé en 1862, par son doyen Jean LAPORTE, originaire du Périgord. Une preuve qu'il y avait déjà des habitants plus jeunes et que ces fêtes de la Saint Jean, restées dans nos yeux d'enfants, se pratiquaient déjà.


Quoique abîmée.. voici la plaque photographiée en 1986 par Yvette Galéa, soeur de la narratrice.

    Notre quartier formait un grand triangle qui escaladait la colline et dégringolait d'un côté, par une série d'escaliers scindée en deux par une longue rampe de métal, usée par les fonds de culottes des gamins intrépides, de l'autre par une ruelle très pentue, vers le faubourg de l'espérance... En 1934, quelques hectares, achetés par Mrs PORTOLANO & MAZENC (notre cher professeur), furent constitués en lotissement et c'est ainsi que notre famille fit l'acquisition d'un des lots viabilisés, car nous avions bien sûr, le tout à l'égoût, eau, gaz et électricité ainsi que des routes bordées de trottoirs carrelés, un modernisme qui nous paraissait alors très normal.     Disséminées dans la verdure des jardins, les maisons blanches ou roses, piquaient leurs piliers comme des échasses sur ce versant du djebel Bouyala, qui faisait face à la croupe du Skikda, entre lesquels s'étirait la ville de Philippeville. De nos balcons, la vue sur le faubourg de l'Espérance, la vallée du Saf-Saf, jusqu'au camp d'aviation, était imprenable. Les constructions modestes, pour la plupart, avaient suivi un modèle imposé, le lotissement avait été créé à l'intention de petits fonctionnaires, d'ouvriers. C'est ainsi que voisinèrent bientôt des employés du Chemin de fer algérien (CFA), des PTT, quelques instituteurs. Mes parents n'étaient ni l'un ni l'autre, mais quelques lots avaient été vendus aussi à ceux qui n'optaient pas pour les conditions requises par cette "coopérative".     L'architecte qui construisit notre maison, habita un peu plus tard près de chez nous, une charmante villa de style italien, qui sortait avec quelques autres du lot des maisons jumelles. La nôtre n'avait pas non plus suivi ce format : c'était un parallélépipède sans originalité, avec un toit pavillon au centre et des parties latérales en terrasses. Les jardins s'étageaient en larges gradins que reliait toujours un escalier abrité d'une glycine ou d'une treille, et bordé de géraniums écarlates, qui fleurissaient une grande partie de l'année.

Au Sud ouest de la mosquée, Montplaisant

    Les habitants du quartier étaient, pour la plupart d'origine modeste, ouvriers, petits fonctionnaires français et musulmans, qui possédaient enfin leur propre demeure, cultivaient leur jardin. Tout le monde se déplaçait à pied, sauf un voisin arabe, chauffeur de taxi qui, dans les premières années nous amenait à l'école en auto avec sa fille.
C'était à l'époque un privilège !
    Dès les premières années, une amicale des habitants de montplaisant avait été créée et on y donnait des fêtes. Les seuls moments fabuleux dont je me souviens particulièrement étaient ces feux de la Saint Jean, le 21 juin. Les enfants du quartier étions dépêchés pour aller ramasser des branches au petit bois des "quatre routes", dans la campagne attenante. Le bûcher, dressé malaisément au carrefour en pente, attendait la mise à feu, à la tombée de la nuit. On laissait les flammes retomber un peu, puis les hommes et les jeunes gens sautaient hardiment au dessus du brasier. Les mollets velus découverts par les shorts, en cette partie de l'année laissaient griller quelques poils qui sentaient le roussi. Les enfants joyeux faisaient des rondes qui s'allongeaient avec quelques jeunes du quartier voisin, amenés par M. Abel FLORENCE, un dynamique entraîneur, gymnaste et musicien. Souvent un accordéoniste, venu de la Maison GROSSO, un gros immeuble qui faisait la transition entre le quartier de la mosquée et le nôtre, arrivait avec son instrument, s'installait sur le mur de clôture qui jouxtait notre maison, et se mettait à jouer jusqu'à une heure avancée de la nuit, à la grande joie de la jeunesse présente.

    La guerre vint mettre fin à ces petites réjouissances. Une pièce de D.C.A anglaise était installée sur un terre-plein au sommet du quartier ; nous l'entendions tirer au-dessus de nos têtes, les soirs d'alertes aux avions allemands dont nous percevions le sifflement des descentes en piqué sur quelque objectif visé, dans un ciel griffé par la géométrie lumineuse des balles traçantes. Je revois les canonniers, coiffés de casques en cuvettes renversées, enterrés dans leur enceinte de sacs de sable, derrière leur batterie à long tube. Un terrain vague en pente, avant le défilé des villas, avait été aménagé en abri, labouré de tranchées à ciel ouvert. Rares furent les habitants qui l'utilisèrent.

    La proximité de la campagne donnait l'occasion à ceux qui habitaient en bordure de petits vignobles, d'entendre les chacals qui patrouillaient le soir, au ras des clôtures. Une petite ferme, entourée d'une haie de cactus et de longues épines d'éburnéa étirait ses maigres cultures à la limite du chemin des "quatre routes" qui serpentait parmi les coteaux sur quelques kilomètres, jusqu'à la "prise d'eau". Le chemin de terre qui y menait était la promenade des familles, le dimanche, à l'époque des eucalyptus à fleurs de mimosa, ou aussi, celle des enfants du quartier qui allaient, au fond d'un petit ravin, cueillir des cyclamens ou croquer des mûres de ronces.
Nous avions quelques craintes de nous y aventurer seuls ou à deux, car les rencontres de rôdeurs étaient fréquentes. Pourtant, jamais, il n'y eut d'agressions.
    Aux moments difficiles de la guerre et des massacres du 20 août 1955, c'est par là que s'enfuirent les fellaghas traqués par les parachutistes et ce chemin leur permit d'atteindre facilement la montagne proche. Après l'attaque du faubourg de l'Espérance, ils gagnèrent rapidement les quartiers élevés de la ville, non sans tirer sur les maisons au passage, et dans le but de rejoindre le maquis.

    Aujourd'hui [souvenirs de 1986 ?], notre quartier n'est plus desservi que par une route en terre, le bitume ayant disparu, les jardins des villas souvent allongées de petites constructions informes, n'apparaissent plus au travers des clôtures remplacées par des murs assez hauts pour enserrer les vies qui s'y cachent.
Les plus grandes maisons dont la nôtre, hérissées de nombreuses antennes de télé et de paraboles, attestent la présence d'une pléthore de familles. Les murs de façades restés sans entretien sont le plus souvent lépreux et sales.
Quartier périphérique, notre Montplaisant fut l'un des premiers à être envahi par les populations de la campagne, il est maintenant immergé dans une masse de constructions hétéroclites qui se sont partout ajoutées à la ville.
Il a perdu son äme.            Marie-Jeanne Galéa-Groud

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Ayant vécu le 20 août 1955, du haut de mes 12 ans, enfermée dans l'école toute neuve de la Cité indigène de filles avec ma mère et ma tante, les fellaghas étant sous nos fenêtres dans les bidonvilles construits au pied de l'école, et délivrée par les parachutistes vers 16h30, j'ai demandé à Marie Jeanne de bien vouloir préciser ses souvenirs.. Elle m'a écrit : "D'autre part, le Montplaisant n'était pas la cité indigène et il est certain que le 20 août 1955, les paras, montés de la ville, y sont arrivés avant d'aller à la Cité où j'ai été institutrice à l'école des filles dans l'année scolaire 1957-58. J'ai apprécié la photo de l'école que vous avez mise sur le site, car je n'en ai aucune de ce coin là." S Granger.
J'attendais des commentaires des anciens habitants.. Voici le premier :

"Je suis allée voir l'article de Marie-Jeanne Galéa-Groud, très intéressant. Je me souviens de sa maison, ma tante était locataire de ses parents. J'habitais moi aussi le Monplaisant, mais un peu plus bas, juste en face de la maison sur laquelle était scellée "la plaque commémorative" de la fondation du quartier." Elisabeth Mattéra-Trouillas 14-01-2005

 


* Cet article avait été publié dans l'écho des Français rapatriés d'outre-mer : juillet 2002 N°101 -P18-19. Mme Groud nous a autorisés à le mettre sur le site, nous l'en remercions.
- Un petit tour sur les photos de juin 2004 prises de la colline au-dessus du chemin "des quatre routes" donnent une idée de l'état actuel de ce secteur.. On a envie de dire.. Où sont-elles passées, ces villas ? -