Le fourgon de Monsieur BORG
 —par Francis BARALO, décembre 2004  —



NOS RUES         Ma Rue du ZERAMNA        



La rue du ZERAMNA et le 6.
Sur la photo l'entrée de ma maison se trouve au-dessous du balcon qui est lui-même surmonté d'une clim
En arrière le minaret de la Mosquée

Le fourgon de Monsieur BORG stationnait devant la vieille porte du six rue du Zéramna  —(Le Zéramna est le nom d’un oued) —. Deux chevaux, agacés par un nuage de mouches, secouaient violemment leurs queues aux crins épais, et piaffaient d’impatience. Un timon séparait les bêtes et Mr Borg avait serré la « mécanique », c’est à dire que quatre patins bloquaient les quatre roues.

Pourquoi cet attelage anachronique devant la maison de mon enfance ?

C’était le premier juillet mil neuf cent et tant.(!) François et son ami le Maltais donc Mr Borg, ouvraient la porte du couloir et sortaient en grimaçant : ils portaient une glacière en bois de sapin  —(c’était marqué sur la petite porte du haut qui fermait le compartiment où l’on rangeait la demi barre de glace tous les jours) —.
Je pourrais en parler longuement de cette demi-barre de glace au quotidien... Ils La rangèrent aussitôt sur le vaste plateau du chariot.
On déménageait dans la famille Baralo ?

On allait à la décharge publique jeter des antiquités ?

Je me disais : « ils sont fous ». Mon père et ma mère avaient entamé une grosse partie de leurs économies pour avoir acquis depuis peu cette glacière ; enfin, l’été, nous pourrions boire frais. Avant l’entrée de ce meuble tant convoité, mes parents avaient posé sur chaque bordure de fenêtres des gargoulettes, qui paraît-il, rafraîchissaient l’eau. Et c’était aux glouglous de ces cruches que j’avais l’illusion de boire frais tout en me mouillant la poitrine et le cou.
Voici encore un matelas et les deux hommes suaient dessous. Un bruit de casseroles dans les escaliers en bois attira mon attention. Ma mère désigna le coupable d’une voix aiguë : "--François, fais un petit effort pour garder ma vaisselle en bon état".
Au bout d’une heure de va et vient incessants, le plateau du fourgon rendait curieux les chevaux. Malgré leurs œillères,ils se retournèrent inquiets : pouvaient-ils penser que c’était un véritable déménagement ?
Pourquoi pas ! Je le pensais bien.
Tout était parfaitement ficelé pour une destination encore inconnue pour moi. Les bêtes trépignaient et attendaient le claquement du fouet. Ma mère suivait attentivement les allées et venues des ‘déménageurs’depuis l’unique fenêtre de la chambre à coucher qui donnait sur la rue au revêtement défoncé. Un essaim de copains regardait intrigué cet étrange chargement. De son observatoire, Antoinette lança soudain à mon père :
"-François, qu’est –ce que tu fais du petit ?"
Cette question ne tomba pas dans les oreilles d’un sourd. Elle résonna comme un coup de tonnerre. Mon cœur battait rapidement, et, pétrifié, j’attendais la réponse de FRANCOIS JOSEPH.
"-On va le mettre entre nous deux sur la banquette."
Il ne pouvait y avoir que cette solution. J’éclatais de joie. Je crois que si on m’avait donné la place du postillon,j’aurais sauté sur un des chevaux comme faisait Zorro sur son magnifique Tornado. Sans perdre une seconde, je m’étais assis entre mon père et son ami. Le convoi s’ébranla sous les cris de mes camarades de jeux. Nous partions à la conquête de l’ouest. Sous l’émotion,je ne me posais même pas la question « Où va-t-on ? ». J’étais heureux d’accompagner mon père sur « mon char ».
" -Pa !où va-t-on ?
-Comment, tu ne sais pas, fils ? Nous allons camper deux mois sur la plage de Jeanne D’Arc."
Ce fut la première et la plus grande joie de ma vie de gamin. Elle m’envahissait comme dans un bain trop chaud. Nous partions en fait vers l’est et cela ne pouvait être que l’ouest dans la tête d’un enfant qui rêvait de westerns. La traversée de la ville fut pour moi une épreuve désagréable . Philippeville était une petite ville où tout le monde se connaissait. Beaucoup de curieux regardaient cet étrange attelage et je percevais sur leur visage de la moquerie : ma timidité dissipait, hélas, ma grande joie. Honteux, j’essayais de comprendre : étrange ce fourgon au milieu des automobiles, singulier ce chargement hétéroclite sur un chariot tiré par des chevaux qui ponctuaient le bruit de leurs sabots ferrés par la chute bruyante de crottins fumants au beau milieu de la chaussée principale. Pour moi, c’était un spectacle insolite où j’étais un des acteurs juché très haut sur le banc des conducteurs. Mes coéquipiers jouaient parfaitement leur rôle sans se soucier des autres. C’étaient des adultes. L’épreuve fut de courte durée. Et la ville fut derrière nous …
L’air du matin était encore tiède et supportable. La "grande" vitesse du chariot nous apportait un peu de fraîcheur. Une odeur de poivre rouge chatouillait mes narines à partir du moment où nous longions la plage. La route passait entre des dunes et un long cordon de sable fin ; les talus qui la bordaient, regorgeaient de griffes de sorcière. Les rayons du soleil commençaient à chauffer et je transpirais sous mon casque ‘colonial’que mon père m’obligeait à porter. Après une heure de trajet, nous arrivâmes au lieu dit de‘la deuxième fontaine’.C’était un grand bassin en ciment surmonté d’un robinet en laiton très brillant. Il devait être très souvent manipulé et son débit était faible. Cela signifiait pour moi, chargé d’alimenter en eau la ‘guitounée’, de longues minutes d’attente. Ce point d’eau détermina la fin du voyage . L’attelage s’arrêta en bordure de plage qui se trouvait en contre bas ; il, fallait donc descendre toutes les affaires et ce fut là que la guitoune fut plantée.
Après bien du travail, le matériel de camping reposait sous un soleil de plomb. François suait, Mr Borg repartait à vide sur son fourgon. Et moi, sous mon beau casque blanc, blanc grâce aux bons soins de ma mère, j’aidais mon père à déplacer madriers et chevrons. Avec une pelle , il fit quatre trous dans le sable et enfonça verticalement dans chacun un madrier, les chevrons y furent cloués pour former une espèce de charpente rectangulaire .
De ce déménagement, je n’avais pas vu de tuiles, de tôles.. Avec quoi allait-on couvrir ?
A l’aplomb, d’un côté de cette charpente , nous dressâmes un marabout, loué chez Vidal et Manégat. Un ‘marabout’,c ’est un long mât central supportant une toile en forme de cône. L’espace intérieur est très vaste … Donc ces quatre madriers et chevrons formaient une terrasse (ombragée ?) et la tente une grande chambre à coucher avec trois lits de camp.La fameuse glacière fut placée dans ‘cette pièce’ à vivre avec le réchaud à pétrole , deux bancs et une table improvisée sur deux tréteaux. Voilà pour le décor sous le soleil brûlant.
Après quelques heures consacrées à la mise en place des meubles , il fallait couvrir pour avoir de l’ombre. A quelque cinq cents mètres du rivage, des palmiers nous fournirent des grandes branches qui firent office de tuiles ; Le soleil tomba, nous aussi , mais de sommeil.
Je passai, enfin ma première nuit sur la plage.

Francis Baralo

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La rue du ZERAMNA : Ma RUE


    La rue de mon enfance était une rue comme toutes les autres mais elle avait perdu sa robe de goudron pour le bonheur de mon adolescence. Elle laissait apparaître cailloux, terre et gravillons. Elle nous offrait des « munitions »puisées sur place qui alimentaient nos lance-pierres, appelés « taouates ». Et ainsi pendant des années, elle finit par ressembler à un large sentier de colline. Elle était limitée par deux places : la place GROSSO et la place de la Mosquée. J’habitais la rue du ZERAMNA .     J’ai la tête pleine de souvenirs et le temps qui passe les ravive… Oui, je peux dire « Ma Rue ».


    Des enfants qui ânonnent! C’est jeudi, l’école coranique est ouverte. Dans la grande salle de classe aux murs blancs, les élèves sont assis par terre, les jambes croisées et les pieds nus. Sur leurs cuisses repose une ardoise : une simple planchette de bois teintée en gris par une multitude de couches de cendre de charbon. Et le maître ? Pardon le talèb, où est-il ? Tel un roi dans son trône, il gère tout ce petit monde discipliné. On apprend par cœur les versets du CORAN. Tel un chef d’orchestre à son pupitre , il scande avec une longue baguette en bois d’olivier, ce chant monotone. Mais cette verge est aussi une arme redoutable pour le maestro. Si par malheur un enfant se distingue par une légère dissipation, il reçoit sur la plante des pieds un coup magistral qui rétablit aussitôt le silence.
    Ces élèves copient sur leur ardoise des fragments de versets avec « un porte plume »spécial et rudimentaire : c’est un bout de roseau dont le tube a été coupé dans le sens de la longueur, taillé à l’une des extrémités en pointe fendue en son milieu : c’est la plume qui permet de faire les pleins et les déliés. Instrument pour l’écriture qui rappelle le « calame »de l’EGYPTE ANCIENNE. L’écriture arabe s’accomplit de droite à gauche et les caractères sont très beaux. Ainsi lorsqu’un enfant a copié une belle page (les sourates) sur son « ardoise », il la montre à sa famille, aux gens qui passent dans la rue et si les adultes sont satisfaits, ils lui donnent une pièce de monnaie.
    L’encre utilisée dans ce genre de discipline a toujours été pour moi un mystère. De quoi est-elle composée ? Elle ne ressemble en rien à celle que l’on utilisait à l’école primaire. Les enfants sucent leur « plume » noircie de la fameuse encre. Ils paraissent s’en délecter… C’est quoi? Noir de sépia ? Que sais-je ? Cinquante cinq ans après, j’ai eu la réponse. Un parent d’élèves de l’école que je dirigeais en France, à Besançon m’a simplement dit que c’était du coton ou de la laine calcinés mélangés à de l’eau. Encre « bio » n’est-ce pas !
    Le « taleb »était aussi le marabout du quartier. Cinq fois par jour, il montait au sommet du minaret de la mosquée pour appeler les fidèles à la prière. Je le croisais tous les jours et je rêvais de monter là-haut dans sa tour enchantée. J’aurais voulu embrasser une autre langue comme mes copains de la rue. Ce ne fut que plus tard, à l’Ecole Normale D’Instituteurs de CONSTANTINE, que je dus apprendre l’ARABE dialectal pour les besoins de l’enseignement : épreuve obligatoire à l’oral du baccalauréat.
Francis Baralo - Janvier 2005


Retour au haut de la page      Merci à Fatima pour cette photo de : "MA RUE"