AGRICULTURE - RACINES
par Gérard DI COSTANZO (Sept. 2006)


Agriculture


Introduction.


Ce texte n'a pas la prétention d'être un document historique. Il se peut qu'un membre de votre famille soit concerné. Sa seule ambition est de réhabiliter une mémoire , celle de nos parents, les miens et peut-être les vôtres. Leur oeuvre terrienne ne peut pas être considérée en voie d'extinction et oubliée à jamais. Se dérober serait une lâcheté de notre part.

Les informations recueillies sont celles d'un enfant attentif aux gestes et au professionalisme d'un père agriculteur, le mien. Et comme le préconise Rousseau dans l'éducation d'Emile, faites voyager l'enfant pour qu'il voie, qu'il sente et qu'il ressente avant de l'enfermer dans la connaissance livresque. J'ai eu la chance d'en bénéficier tout en reconnaissant que le métier d'agriculteur est avant tout sédentaire. Ce qui suit est écrit de mémoire. Une mémoire d'enfant.


Chapitre I.- La montagne contre la plaine.


Autour de la ville, hormis les quelques rares Français terriens installés souvent sur de vastes étendues (ex Domaine Barrot), il semblerait que les Maltais aient été les premiers arrivés sur le sol de Rusicada (phonétiquement déformée par les indigènes en devenant Skikda). Ces Iliens convertis par St-Paul, vont rejoindre les berbères de St-Augustin. Ils vont investir aussitôt les plaines insalubres minées par le paludisme, mais combien plus prospères que les coteaux. Dans la plaine alluviale, ils y ont trouvé ce que leur île hostile ne possédait pas : la prospérité qu’offrait une terre vierge qu'il fallait défricher et la richesse de deux éléments fondamentaux: l’eau abondante qui fertilise et le soleil ardent qui stérilise. Ils se sont spécialisés dans les maraîchers et les agrumes, tous deux friands d'arrosages. Ils exploitaient un sol dont la rentabilité était incontestable.

Terres infestées par le paludisme.




Avant de transformer l’enfer paludéen en paradis californien, les colonies pionnières ont payé un lourd tribut. Le taux de mortalités infantiles, et souvent d’adultes, est resté très élevé au cours des deux premières décennies. Par la suite, l'Institut Pasteur ( travaux de Laveran) a assaini la plaine de la Mititdja et le reste du pays; ce qui limitera le taux de mortalités. (On parle peu de la "morbidité" rapport entre population malade et population saine, qui était énorme - SG)

Ainsi, dès les premières heures, la région de Philippeville( ex-Rusicada) se voit exposée aux agressions du moustique, le vecteur. La prophylaxie encore inexistante a été la cause de familles entières meurtries, voire décimées. Malgré le progrès, on n'a jamais réussi à éradiquer totalement la fièvre paludéenne; au mieux, on est porteur d'un « palu  lent », forme atténuée donnant des réactions fébriles à chaque changement de saison. Réactions que j'ai connues une dernière fois en arrivant en Métropole accompagnées de tremblements de tout le corps.


La vallée du Saf-Saf, région idéale pour la prolifération de l'anophèle.

Un souvenir amer: au cours de la période de 1930, mon père a exploité un domaine(ci-dessus) sur les rives du Saf-Saf pendant une quinzaine d'années, la situation géographique n'offrait rien d'idyllique: il avait le teint jaune affreusement jaune, métamorphose suprenante de l'épiderme. Effet comparable à la pire jaunisse au dernier stade de la « maladie incurable » que nous redoutons. La quinine à forte dose n’arrivait pas à éviter les accès chroniques. Au début de ma carrière d'enseignant, je distribuais encore de la nivaquine aux élèves indigènes eux aussi exposés. ( Conscient des dégâts, en 1981, je me suis insurgé : on faisait appel au don du sang sans se préoccuper si les donneurs étaient porteurs du microbe; c'est tout récent, on vient de réagir...). Bref, pour ma part, cet élan de générosité a été un problème moral.

Les coteaux, zones plus saines.

Après les Maltais, une seconde vague de colons, venue d'Ischia, va s’implanter vers 1850 sur les coteaux qui ceinturent la cité naissante. Leur attirance va vers le relief mieux adapté à la viticulture, leur spécialité. L'accélérateur sera la crise du vignoble dans leur pays d'origine. Ils investissent les terres proches de la ville et de la mer.



Ici, datant de 1920 , un rare témoignage d'une vigne exploitée intra-muros, Rue des Aurès. On aperçoit les parcelles de vignoble: au centre le n° 3, celle ayant appartenu à Mr. Di Meglio jusqu'à la 2nde Guerre Mondiale. L'axe principal, le n°4, la Rue des Aurès qui se termine aux « Portes des Aurès », après avoir dessiné des méandres. Le n°1, c'est la rue des Escaliers, plus tard Rue des Frères Pons, au croisement haut des deux rues sera construite ma villa en 1927. A gauche, le n°2, une maison, au milieu des rangs de vignes. Dans les années 50, la famille Khaled-Khodja l'habitera quelque temps . Le n°5, le sommet dominant l'horizon, c'est la poudrière. Le n°6, les remparts, le n°0, « my home ». Le n°7, l'emplacement des futurs HLM.




La même parcelle 40 ans plus tard. Ne nous étonnons pas, cette évolution est universelle: une terre agricole qui vient lécher les abords d'une agglomération se transforme un jour ou l'autre en terrain à bâtir. Cette poussée démographique va s'amplifier dès l'Indépendance.


Un premier fléau, l'oïdium.

Déjà, bien avant l’arrivée des Français, les pêcheurs de l' île d'Ischia venaient jeter leur filet à Stora en payant le droit au chef Ottoman dans un climat d'entente réciproque. Les îliens en quête de poissons n’étaient donc pas dépaysés. Par contre, les agriculteurs dont le fief est Barano d'Ischia,, ne se sont pas manifestés aussi vite que les Maltais quelque peu favorisés par la consonance de leur langue. C'est l'oïdium, maladie de la vigne qui privent les viticulteurs schaïouls de recettes, ils vont donc s'expatrier vers ce versant de la Méditerranée. Ce n'est que plus tard qu'on s'apercevra que la vigne plantée au pied des volcans n'est pas atteinte de la maladie. Les émanations sulfureuses des cratères éradiquaient ce champignon et protégeaient les grappes jusqu'à leur maturité. Dès lors, le soufre sera définitivement adopté sur tous les vignobles de la planète.

Des migrants peu fortunés.

Avant d'acquérir de la terre, les deux lignées de ma famille, hommes et femmes, ont participé à la construction de la voie ferrée Philippeville-Constantine gérée par la Société PLM avant de devenir CFA. En salariés économes, ils loueront puis achèteront des parcelles qu'ils réussiront à remembrer par la suite. Au début, ils payaient la note d'épicerie en fin d'année, le commerçant leur faisait crédit en toute confiance(dixit Philippe, mon père).



Le port de S.Angelo. D’ici, sont partis tous nos ascendants originaires de l'Ile. Mon arrière-grand-père en 1860 et mon grand-père en 1870. Selon mes parents, les navigateurs connaissaient parfaitement l' itinéraire Ischia-Rusicada. Ordinairement, il leur fallait 6 jours pour la traversée. En raison d'une forte tempête, mon grand-père, âgé de dix-neuf ans, mettra 30 jours.



Le port antique de Stora, quelle ressemblance avec le relief d'Ischia!


Ces îliens ont préféré s’implanter sur une terre dont la configuration rappelle celle qu’ils viennent de quitter. L'eau, par contre, y est plus rare. Souvent, les lots n’excédent pas 2ha.. Mais ils ont choisi la qualité de vie plutôt que la rentabilité.

Sur les coteaux, le teint rosâtre prouve qu’il fait bon vivre, de plus, le bon vin entretient les couleurs. Ces Napolitains Greco-Romains sont moins riches que dans la plaine, qu’importe ! C’est ainsi que la colonie schaïoule occupera le Beni-Meleck, l’Oued Louach et l’Oued Qasba... (l’oued, parfois un ru, est au pied des coteaux, les maisons en haut). On choisit le site qui permet de dominer le paysage alentour. Le soleil y est constamment présent.

Ce choix territorial a été fait essentiellement par des familles au suffixe spécifique. Je les cite pour leurs descendants. Il s'agit des Apréa, des Balestrieri, des Bocanfuso, des Buono, des Cuomo, des Di Costanzo, des Di Meglio, des Di Scala, des Migliaccio, des Monti, des Scotto, des Talercio...Comme ils étaient nombreux à porter le même nom, pour les distinguer on employait un substitut évocateur parfois comique, comme « Le Fils de la Vieille »... ou alors « Les trois frères »...



(1953) : Sous la ligne de crête des «  Quatre-Routes » que l'on emprunte sitôt franchie la « Porte des Aurès », une multitude de maisons de plain-pied et proches les unes des autres, témoignent de l'étendue très modeste des parcelles. Certaines ne seront jamais remembrées, elles conserveront la superficie initiale. Croyez que cette catégorie de valeureux cultivateurs n'avaient rien à voir avec le « Gros Colon»......

Cliquez pour voir le plan en grand

La même zone que celle dessinée par feu mon père en 1976 met en évidence des lots modestes, à partir desquels nos ascendants ont élevé leur famille en pratiquant la culture intensive et l'élevage clôt. Les prénoms cités sont des Di Costanzo. Le « Communal » de 7ha a été défriché,avec, entre autre, extraction d'énormes souches de bruyères par trois ados avant de partir « au front de 14 », c'étaient mon père et ses deux frères. Mon grand-père voulait les mettre à l'épreuve avant de les accepter dans ce rude métier.

-------------------------------------------------------------------------------------------

La montagne au secours de la plaine ou le petit au secours du gros.


a) Quelques chiffres.

La réglementation vinicole est stricte, la zone la plus exposée aux décisions administratiaves arbitraires semble toucher d'abord la plaine car le quota sur tout le territoire algérien est de 15 000 000 de hl. Le rapport à l'hectare dépasse les 100hl, la surproduction est pénalisée tandis que les coteaux arrivent péniblement à 45hl. Mais l'avantage de ces derniers est de fournir des vins de qualité titrant 13° voire 14°, tandis que la plaine connaît des périodes où les 6° ou 7° les pénalisent. Ils leur faut donc distiller à vil prix. La chaptalisation est interdite. Où trouver cette compensation sinon en venant chercher secours auprès des petits viticulteurs des coteaux.

b) La raison du plus fort...

En remerciement -« Le Gros mange le Petit »parce qu'il fait la loi du marché-il impose ses tarifs . Mon père Philippe, ayant connu les deux tailles d'exploitations, à son poste de président du syndicat, va tenter de séparer le bon grain de l'ivraie en essayant d'obtenir l'appellation « Vins des coteaux du Beni-Méleck ». Il échouera. Il sera confronté à des antagonismes propres à l'agriculture dite de « papa ». L'agriculteur autonome demeure encore récalcitrant à ce genre d'opération. Bref, le délicieux nectar des coteaux sera phagocyté par la plaine laquelle continuera d'alimenter les caves de France. La sueur de ces « petits » sera doublement noyée dans la masse.


Chapitre II.- Des mots, des actes. (petit lexique pêle-mêle).






GARANCE : plante sauvage à ryzhome filiforme ayant servi, dans le passé, à teindre le textile. Jeunes, nous allions la déterrer dans la forêt au cours de la semaine précédant Pâques. Cette « racine rouge » comme on l'appelait, est toxique, mais sans danger portée à ébullition; nous l'écrasions et la mettions à bouillir dans une bassine avec les oeufs. Les oeufs durs par capillarité gagnaient en saveur, ils prenaient une couleur pouvant présenter la gamme de tous les rouges, selon la durée de cuisson. Ce jour de fête, chacun testait sur ses incisives la résistance de la coquille. Après les avoir entrechoqués, était déclaré vainqueur celui ou celle qui possédait l'oeuf le plus résistant. Occasion de festoyer en famille. Cette coutume se perpétue en Grèce. N'oublions pas qu' Ischia, île stratégique, a connu l'occupation Hellénique.


TUER LE COCHON: en hiver, l'agriculteur tuait le cochon. Ce jour-là consacré au rituel, toute la famille s'affairait pour façonner la meilleure « chaircuiterie ». Tard le soir, à la lueur d'une lanterne, on en était à la cuisson.

Une préparation originale est celle du boudin doux, où l'on mélange sang, chocolat, confiture de raisin et clou de girofle...le tout remplissant le gros intestin solidement ficelé et cuit le jour même.


LE VIN: boisson noble du viticulteur. Le dimanche, Jour du Seigneur, les hommes se rendaient visite dans la cave. Non sans fierté, on offrait dans un bol le délicieux nectar tiré d'une barrique. Façon aussi de vaincre la morosité hivernale avec échange de point de vue professionnel. Certains rapportaient les ragots, d'autres venaient espionner sur la méthode de travail. L'effet éthylique aidant, langue déliée, la vérité sortait de la bouche...de ces « innocents » exploitants!


LE PAIN: aux premières heures, les familles ont fabriqué leur pain. Une habitation rurale ne pouvait se concevoir sans le four. Le samedi après-midi, on le réservait à la préparation. C'étaient de grosses miches de pain destinées à nourrir une famille nombreuse. Elles étaient cuites et enveloppées dans un sac pour tenir la semaine. Le levain était soigneusement conservé pour le samedi suivant. On profitait du four chaud pour y cuire le poulet de ferme, la pizza...Miam!


LE SEL: indispensable assaisonnement; on utilisait l'eau de mer; on la transportait la nuit à dos d'âne ou de mulet en défiant les interdits. Celui qui se faisait prendre en flagrant délit devait payer une lourde amende.


LA MUSIQUE: les chantiers étaient très animés. On y entendait des voix merveilleuses de ténors. Ce peuple musicien d'instinct a colporté sur le sol algérien tout le répertoire du Bel Canto. Ce n'est pas un hasard si un Costanzo, cité par Rabelais, au service d'un Costanza, originaire de l'île, a été le précurseur de Palestrina maître de la polyphonie, joyau de la Civilisation Occidentale. Un de mes grands oncles débarquera sur sa modeste parcelle avec la valise et le piano; sa maison n'était encore qu'une frêle barraque en tôle.


LA PASSION: en bon Méditerranéen, le peuple d'Ischia vit dans le paradoxe. Il sublime le vice et la vertu. Il ne s'inscrit pas dans la mesure. Il se complaît dans les extrêmes. Après tout, quoi de plus savoureux que d'échapper à la monotonie...?


LE KABYLE: peuple intelligent et vaillant. Jusqu'en 1935-36, il sera le seul que mes ascendants aient connu sur le chantier. Chaussé de peau de chèvre, il rappelait le peuple romain dont il est issu. Le Front Populaire va définitivement opérer sur lui . A partir de ce bouleversement social, on en verra de moins en moins dans l'agriculture. Mes parents et grands-parents parlaient kabyle, leurs descendants parleront arabe. Chronologie importante.


LE FELLAH: il cultive son lopin de terre pour la famille et il s'en contente. Ce qui fait qu'au lendemain de l'Indépendance, les propriétés seront abandonnées en plein rapport. Une fois de plus, cet exemple pourrait me conforter dans ce postulat. La première génération , celle des pionniers, se saigne les quatre veines, la seconde essaie de faire fructifier, la troisième se charge de tout liquider. Puis le cycle recommence. C'est une règle que j'ose qualifier d'Universelle.


LA FOI: chez le paysan, elle se veut franche, sincère et inconditionnelle. Il n'a pas le temps de se perdre dans un labyrinthe d'idées philosophiques. Ici, on a « les pieds sur terre » et dans la terre:....ce qui rapproche du Ciel.


LES METS: les principaux correspondent aux exigences d'une famille nombreuse. En campagne, on met des rallonges à la table avec plats de spaghettis le dimanche ou raviolis relevés au Parmesan ou au Sardaigne. Notons, au passage, que la paella (prononcez pa-é-lia par respect pour l'Espagnol), le couscous, le cassoulet ou la choucroute sont des plats collectifs, chacun d'eux symbolise l'histoire d'un peuple. Autrefois, le plat du pauvre a permis de traverser les crises. Aujourd'hui, il est adopté par toutes les bourses. Parfois, il devient un plat de luxe, comme la bouillabaisse. Livré à l'industrie alimentaire, il est souvent insipide. Sacrilège!



Il grimpe seul dans les arbres en Kabylie,
il se plaît en treille, c'est,

LE RAISIN KABYLE: connu sous l'appellation d' « Ahmar bou Amar », c'est une variété inconnue en Métropole. Cependant, ayant eu la chance de sauvegarder une bouture, il donne à satiété dans le Sud-Ouest où le pourcentage hygrométrique lui convient. Ce raisin est tout un symbole. Il remonte au temps biblique. De couleur rose, il s'est développé en Numidie. Sa peau un peu épaisse permettait de le déguster bien après le vendanges: en le suspendant dans la cave, on pouvait le conserver jusqu'à Noël.

On le mettait aussi dans l'eau-de-vie. Preuve est fournie: la terre d'Algérie a toujours été une terre à vigne bien avant la présence Arabe et Française.



Chapitre III.- Nostalgie d'une certaine agriculture.

 


Une des toutes premières photos de l'Ecole
créée par Arrêté en avril 1900

(cliché unique et en mauvais état trouvé par hasard dans une salle des ventes de ma ville).

Avant l'obligation scolaire, peu d'agriculteurs savaient lire. Scolarisé, on se contentait d'un minimum de connaissances: le métier n'exigeait pas de longues études, il suffisait de savoir lire et compter pour rejoindre la terre familiale. En praticien, on apprenait les rudiments d'exploitant agricole de père en fils. Celui qui s'y précipitait prétendait trouver la liberté. La création d'une Ecole d'Agriculture va mieux préparer la génération suivante aux mutations.



La même un quart de siècle après, livrée en carte postale.


----------------------------------------------------------------------------------------------

Aujourd'hui, le profil de l'agriculteur moderne se démarque du modèle traditionnel. Il lui faut posséder un B.T.S., un ordinateur pour la gestion, un tracteur dernier cri... Le voilà engagé dans la modernité. Le pire des maux, comme me disait l'un d'eux, est d'avoir perdu la liberté de décider: « Me voilà fonctionnaire... », au sens péjoratif, tel est le propos recueilli. On vit de subventions, de décision d'arrachage, de terre en jachère... Tout est plus complexe et pourtant inéluctable face à la compétitivité.

Au temps de mes parents, la récolte sur pieds s'annonçait prospère, dans la nuit un coup de grêle et c'est le désenchantement. Pas d'indemnisation. Le remède était la polyculture- arbres fruitiers, maraîchers- et l'élevage. C'est dans la diversité des cultures que l'on fait diversion aux aléas: cette méthode va leur permettre de survivre au deuxième fléau, le phylloxéra de la vigne de 1894 à 1903 ». Les prisonniers de droit commun, désignés d'office pour le dépistage, avaient pour rôle de déceler la moindre trace sur le cep. Le pied de vigne regorgeait de grappes, ils le détruisaient sur-le-champ au mépris des victimes exaspérées. On trouvait encore la joie de vivre, on chantait en travaillant...




-------------------------------------------------------------------------

(cliché stéréoscopique: format original 3cm x 3 cm): Les vendanges étaient jours de fête. Ici, sur ces terres de l'Oued Louach, dans cet accoutrement insolite, une femme endimanchée- certainement la propriétaire- est venue poser devant l'objectif pour fêter l'évènement: l'aboutissement d'une année de labeur qu'exige le cep soumis à des soins multiples. La photo date des années 1914-18 (on ne voit pas de jeunesse masculine européenne, certainement mobilisée). S'agit-il d'une famille Di Costanzo ou Discala? Je ne puis l'affirmer. (J'attends que quelqu'un se manifeste...).

Autre cliché du même jour:





------------------------------------------------------------------------------------------





. Le même endroit, cette fois, sans acteurs en 1953, noté n°7 .Le n°1, le cimetière Mozabite mystérieusement demeuré inutilisé. Le n° 2, la « Cité Indigène » avec son architecture style mauresque. Le n° 3, le Domaine Barrot. 4: le village Valée. 5: le Col de Bissy, derrière la montagne que les bergers embrasaient certains étés, c'est Jemmapes. 6 : Route de Saint-Antoine. .

-------------------------------------------------------------------------------------------





( vers 1914): Les vendanges artisanales. On écrasait le raisin avec les pieds. L'alicante, le carignan, le cinsault, l'arramont...presque indélébiles, teintaient durant des semaines les membres inférieurs des préposés écraseurs. Dans le passé, les agriculteurs bénéficiaient de « permission » ou de report d'incorporation pour la période des vendanges. Certains rejoignaient leur régiment les pieds violacés, adhérence due au tanin des grappes. D'aucuns pensent que le terme de « Pieds Noirs » viendrait de cette anomalie. A ce jour, personne n'oserait le confirmer.

------------------------------------------------------------------------------



(1952): Au même endroit, mon frère Albert
et ma soeur Marie.

La coutume est maintenue, au second plan les « écraseurs ». Sur les chantiers, on entend encore chanter « O Sole Mio » par les Italiens ou bien « Soujia â l'ahmem » chanson osée proscrite par les indigènes lorsque deux frères se trouvent présents sur le même chantier. Si on l'ignorait, l'atmosphère glaciale suffisait pour rappeler à l'ordre le chanteur téméraire.



              1. - CONCLUSION.


J'ai voulu sommairement rappeler une page d'histoire, celle d'un peuple vaillant, le mien ou peut-être le vôtre, celui qui n'a jamais connu de répit: ni vacances, ni voyages. Son seul idéal fut la famille et le travail. Parfois, l'amour excessif de la terre a occulté les évènements qui se déroulaient autour de lui; souvent, il n'en saisissait pas le sens, cette ignorance lui sera fatale parce qu'on lui demandera de tout laisser sur place. Les occupants actuels, installés dans leur légitimité, comprendront un jour qu'ils ont laissé échapper une « dynamique » qui aurait pu leur être fort utile, au moins à terme. Certains d'entre eux l'expriment déjà ouvertement. L'agriculteur exproprié portait en lui un héritage fait d'expérience puisée dans les différentes éthnies, ce sera sa richesse. Miscible ou peu miscible, le Français, le Maltais, ou l' Italien..a fourni, chacun à sa manière, un produit exportable créant ainsi des envieux. N'oublions pas qu'en France, la rénovation agricole s'est manifestée au cours des années sixties avec l'apport de ces terriens audacieux, leur influence a parfois dépassé le cadre de l'Hexagone, comme la magnifique orangeraie d'Alicante en Espagne; à partir de cette période, l'agriculture métropolitaine a trouvé un nouvel élan. Un brin de reconnaissance. Gérard DI COSTANZO Septembre 2006.